Drakkar : la création d’une légende

de Cameron Rich le 21 février 2020

Lorsque l’épisode « Une ombre dans la glace » a été présenté, des pans entiers de l’histoire restaient à découvrir. Mais une chose était sûre : l’affrontement avec un adversaire redoutable surgi du passé de la Tyrie était annoncé. Une créature sinistre, dont on osait à peine murmurer le nom. Un monstre que les joueurs eux-mêmes avaient aperçu une bonne décennie plus tôt dans Guild Wars: Eye of the North®. La créature dont la sombre influence avait engendré le premier ours norn corrompu et déclenché la série d’événements qui conduirait à la création des Fils de Svanir…

Nous allions enfin nous retrouver face à Drakkar.

Bâtir sur les bases du passé

Les joueurs qui connaissent Guild Wars: Eye of the North se souviennent peut-être qu’il était techniquement possible de voir Drakkar en regardant sous la surface de son lac gelé. Maintenant qu’il est possible de le voir dans Guild Wars 2, il présente une apparence assez différente. Quelle a été notre approche pour moderniser cette créature légendaire ?

La première étape de notre travail sur Drakkar a été de déterminer les restrictions techniques et conceptuelles liées à son apparence d’origine dans Guild Wars®. À travers la glace, on apercevait seulement la forme floue de sa tête, alors nous avons décidé de changer l’essentiel de son corps pour l’adapter au mieux à notre modèle, au gameplay et aux objectifs scénaristiques.

Nous avons finalement décidé qu’il était essentiel de faire apparaître les éléments suivants :

  • Sa relation avec Jormag.
  • Sa nature de créature maléfique et surnaturelle.
  • Sa capacité à lancer des attaques physiques et magiques.
  • Sa capacité à se déplacer ou à nager à travers la glace de manière crédible.

Pour souligner l’influence de Jormag, nous avons intégré à son corps des éléments glacés et draconiques comme un long cou, des dents, des griffes et des stalactites. Le seul élément du modèle original que nous avons conservé est sa tête étrange, qui évoquait le thème d’une baleine en décomposition. Ses formes irrégulières nous rappelaient en effet celle du crâne des baleines. Nous avons ensuite développé ce thème en ajoutant de la graisse en décomposition pour lui donner un air plus « hérissé », destiné à renforcer le côté arctique avec une fausse fourrure. L’idée générale est qu’après la fonte de son lac gelé, Drakkar s’est retrouvé exposé aux éléments et a dépéri, sa seule force restant son lien avec Jormag.

Une fois l’apparence de la créature définie, il fallait décider comment Drakkar allait interagir avec les joueurs.

Animer le monstre

Animer Drakkar a été assez simple. Nous avions arrêté nos choix sur la forme de base de l’arène, les dessins conceptuels du boss et même son modèle avant de commencer le travail d’animation. La création de nouveaux modèles étant un travail assez chronophage, nous avons décidé d’utiliser le nouveau modèle d’Aurene pour toutes les animations de Drakkar. L’équipe chargée des créatures nous a donné une sculpture rudimentaire de Drakkar à animer, ce qui nous a permis de nous mettre au travail.

Durant les premiers jours du processus d’animation, nous avons travaillé avec l’équipe de conception pour ébaucher rapidement l’ensemble des attaques et des mouvements. Nous avons intégré toutes ces animations rudimentaires comme prototypes d’attaques et observé ainsi ce qui fonctionnait ou non. Durant la phase de travail sur ce prototype, certaines attaques ont été modifiées ou même abandonnées, tandis que d’autres ont été ajoutées pour répondre aux besoins de l’affrontement. Une fois le modèle final défini, nous avons entrepris le long processus de création des animations définitives, qui impliquait aussi d’ajouter les effets visuels.

Une suite d’effets

L’équipe des effets visuels a dû relever plusieurs défis durant le développement et, après la réunion de lancement initiale, nous avons compris l’importance d’établir une étroite collaboration entre l’équipe artistique et celle de conception pour créer un combat de boss en plusieurs phases, complexe et visuellement impressionnant, exploitant beaucoup d’effets visuels. Assez vite, l’équipe de conception a demandé la création d’effets visuels préliminaires, et au fil du développement, les autres équipes artistiques ont apporté des solutions à nos besoins spécifiques, nous permettant d’élaborer l’aspect général à mesure que l’affrontement se matérialisait.

La glace était le thème retenu pour ce combat, alors il a fallu choisir intelligemment les couleurs. Pour faciliter le développement, les équipes chargées des créatures et de l’environnement nous ont fourni de premières « ébauches » de couleurs, qui nous ont permis de lancer le développement des effets visuels sans attendre que les ressources soient finalisées. Au final, nous avons intégré à la fois des couleurs claires et sombres, de la glace, de la matière visqueuse en décomposition et de l’énergie magique dans les capacités de Drakkar pour qu’elles soient bien visibles malgré la glace et le modèle du boss, même avec l’éclairage changeant.

Nous avons su assez vite que Drakkar devait nager derrière des murs de glace et les traverser. Cette seule demande a été une source de défis uniques pour l’équipe des effets visuels, qui a dû développer notamment une nouvelle technologie de shaders. Après avoir étudié plusieurs idées, nous avons décidé de développer un nouveau shader de mur de glace, servant de base pour ajouter un système complexe simulant la profondeur et une animation réaliste ; nous avons ensuite ajusté les réglages pour assurer un gameplay cohérent.

L’ombre de Drakkar a évolué durant le développement. Ce n’était au début qu’une simple forme sphérique brumeuse, mais elle est devenue une ombre animée complexe à mesure que le nouveau shader de glace progressait. Grâce à des animations simples du modèle de Drakkar, une utilisation astucieuse du rendu du plan de profondeur pour générer des folioscopes, et un timing précis des effets visuels liés aux animations de Drakkar, nous avons permis à celui-ci de traverser la glace avec fluidité et de nager derrière elle comme nous l’avions imaginé.

Tout cela était nécessaire pour atteindre nos objectifs ambitieux concernant cet affrontement.

Concevoir l’affrontement

La première étape pour créer le combat contre Drakkar a été d’examiner nos boss de monde existants pour répondre à de délicates questions. Comment mettre à l’épreuve la vigilance des joueurs, même les plus vétérans ? Quels pièges pouvons-nous éviter en apprenant du passé ? Durant le processus de conception initial, ce genre de questions nous a permis de définir plusieurs objectifs :

  • Faire bouger les joueurs.
  • Traduire les mécaniques des raids et des missions d’attaque dans le monde ouvert.
  • Intégrer nécessairement des barres de défiance.

Et le plus important…

  • Restituer l’aspect dynamique des déplacements du boss.

Ce dernier point a constitué la plus grande difficulté : montrer la capacité de Drakkar à traverser la glace. Pour comprendre la raison de cette difficulté, il faut d’abord analyser comment nous créons les boss de monde.

En interne, les boss comme la Griffe de Jormag, Tequatl ou le Destructeur sont appelés des « boss accessoires ». Ces agents ressemblent à des créatures, mais ont un comportement radicalement différent des ennemis classiques. Par exemple, les boss accessoires occupent une position fixe, à moins d’avoir été animés spécialement pour rejoindre un autre lieu (comme pour la transition vers la deuxième phase du combat contre la Griffe de Jormag). Les animations de ce genre sont très coûteuses, et il est difficile de créer plusieurs versions lorsqu’on travaille avec des délais serrés, alors les déplacements d’un boss accessoire nécessitent généralement un gros investissement de la part de notre département artistique. Comment avons-nous donc fait ? Nous nous sommes servis de tours de passe-passe.

Lorsque vous affrontez Drakkar, vous n’affrontez pas un seul boss accessoire. Vous en affrontez dix-sept communiquant tous grâce à un contrôleur maître. Ce contrôleur leur indique quand passer à l’attaque, quelle santé ils doivent avoir, quelles attaques utiliser et quand disparaître. Grâce à cette stratégie de développement, nous n’avions plus besoin d’animations pour chaque mouvement. À la place, lorsque le contrôleur indique à un boss accessoire de disparaître, il décide où Drakkar apparaîtra ensuite et lance une séquence d’effets vous montrant son ombre en train de traverser la glace. Lorsque cette séquence se termine, le contrôleur indique au boss accessoire suivant d’apparaître, fixe sa santé sur la valeur adaptée et le fait engager le combat. Grâce à l’aide des équipes chargées des animations et des effets visuels, ce système nous a permis de placer autant de « Drakkars » que nous le souhaitions sur le champ de bataille, et de les relier pour créer l’illusion d’un monstre agile et mobile.

Comme vous pouvez le constater, chaque équipe s’est démenée pour donner vie à Drakkar. De la première fois qu’il a traversé la glace jusqu’au moment de sa défaite, ce monstre a nécessité une coordination totale de toutes les équipes pour garantir une expérience ne ressemblant à rien de ce que nous vous avons déjà proposé. Nous espérons que vous prendrez autant de plaisir à vaincre cette bête légendaire que nous en avons eu à la créer. Et maintenant, foncez. Il y a un monde à sauver !