L’histoire de Marjory : Jusqu’à la lie, première partie

de Angel McCoy le 19 juin 2013

Le jeune homme ne devait pas avoir plus de dix-huit printemps. Les lumières du Promontoire divin se reflétaient dans le sang qu’il avait versé et l’écho de son râle d’agonie résonnait encore à mes oreilles.

« Tu l’as tué ! » J’ai toujours eu le chic pour énoncer des évidences.

« J’ai juste fait mon boulot. » Le Garde du Ministère Henrick Baker s’était approché si près de moi que je pouvais sentir l’arrogance de son haleine putride. Il portait le même uniforme rouge et argenté que moi. Il avait prêté le même serment que moi : protéger et servir le Ministère krytien et le Promontoire divin. Et pourtant, il venait de tuer un citoyen sous mes yeux. Froidement, sans procès, ni hésitation.

D’un mouvement rapide, qu’aucun de nous n’avait anticipé, je le projetai contre un mur, l’avant-bras fermement calé sous son menton, mes jambes arcboutées pour empêcher toute riposte. Une étincelle de colère nécromante s’alluma au bout de mes doigts, près de son œil, là où il ne pouvait l’ignorer.

Il détourna les yeux, comme pour s’écarter de cette menace.

Je reconnus à peine ma voix lorsque je lui dis : « On devait seulement l’amener au poste pour interrogatoire.

– C’étaient peut-être tes ordres, mais pas les miens. » Baker eut le culot de se montrer satisfait, comme s’il venait de marquer un point. « Les véritables paramètres de cette mission n’étaient communiqués qu’en cas d’absolue nécessité. »

Le Ministère avait entendu dire que le jeune homme avait été témoin d’un crime particulièrement odieux. Mon supérieur immédiat nous avait donc envoyés, Baker et moi, pour l’amener au poste. L’amener. Au. Poste. Pas le tuer…

« Tu ne t’en sortiras pas comme ça, lui répondis-je, faute de meilleure répartie.

– Et qu’est-ce que tu comptes faire, au juste ? Me dénoncer aux Séraphins ? L’ordre venait de tout en haut, bien au-dessus de nos rangs de larbins. Je serai sorti de ma cellule avant que les Séraphins aient fini de te cuisiner. Et c’est toi qui seras dans une sacrée panade, pas moi. »

Le nœud au creux de mon estomac me confirmait qu’il avait raison. Cela faisait déjà bien trop longtemps que la puanteur qui émanait de la Garde du Ministère me retournait les tripes. Je le bousculai une dernière fois, lui cognant la tête contre le mur avant de le relâcher. Mais je ne lui tournai pas le dos pour autant.

« Je préfère ça, dit-il. Allez, sois pas si naïve ! Qu’est-ce que ça peut bien faire, un macchabée étranger de plus ou de moins dans cette ville ? Le Ministère assure notre sécurité et c’est tout ce qui compte. Surtout, fais pas de vagues et continue à suivre les ordres. Peut-être que t’arriveras même à monter en grade. Je retourne au bureau avant que des fouineurs se pointent. »

Je tremblais tellement que je ne pus même pas lui répondre. Je me contentai donc de le fusiller du regard alors qu’il s’éloignait, ses semelles en bois claquant sur les pavés. J’avais bu cet amer breuvage jusqu’à la lie, savouré jusqu’à la dernière goutte l’indéniable évidence que je n’étais pas là où je devais être.

« Ohé ? » appela quelqu’un d’une voix d’outre-tombe.

Je me retournai pour découvrir un spectre, le fantôme du jeune homme. Mes instincts de nécromante réagirent aussitôt à la présence du mort et je sentis une flamme s’embraser au plus profond de mon être.

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