Épopées tyriennes :
Chapitre 3

de Vikki le 10 octobre 2016

VikkiTengu

Lors de la MomoCon de cette année, des membres de l’équipe narrative ont présenté les éléments clés de la conception narrative de Guild Wars 2. Avec l’aide du public, ils ont créé le concept original pour Vikki et son moa, Momo, dont vous pouvez découvrir l’histoire à travers les chapitres un et deux.

Outre leur aide sur la conception du personnage lui-même, les joueurs ont aussi pu voter pour les lieux où ils aimeraient que Vikki se rende. Les voix ont été particulièrement nombreuses pour l’Empire des vents, domaine insulaire des Tengus.


Nous avions atteint le point de passage près du Marché de Mabon quand je finis par remarquer que Momo boitait.

Je la menai jusqu’au grand pont reliant le continent au portail des Tengus, l’angoisse au creux du ventre. Elle ne semblait pas manquer d’énergie, mais elle s’appuyait plus sur une patte que sur l’autre. Je me dis qu’il ne devait s’agir que d’un gravier coincé, qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter, mais des dizaines d’atroces possibilités me vinrent tout de même en tête.

Pendant que je l’examinais, un marchand tengu passa près de nous dans un bruit de ferraille, avec une charrette et un petit troupeau de moas. Momo se tendit dans leur direction en roucoulant, et j’eus toutes les peines du monde à la faire tenir tranquille. Je ne l’avais peut-être pas dressée aussi parfaitement que je le croyais, en fin de compte.

Je m’assis, sa patte sur mes genoux. Elle avait des écailles de métal collés sous ses doigts, et quelque chose me piqua le pouce quand je frottai pour les retirer. Je me penchai pour mieux voir. Des fils ? Elle avait dû marcher sur quelque chose à la vente aux enchères de bric et brac.

Momo siffla, angoissée. « Je sais que tu détestes qu’on te tripote les pieds, la rassurai-je, mais laisse-moi une petite seconde. »

Les fils étaient trop courts pour que je puisse les prendre entre mes doigts, mais je n’avais aucun outil de précision à ma disposition. J’arrivai à les saisir entre mes ongles et tirai d’un coup sec. Pauvre Momo, ils étaient vraiment bien coincés !

Momo essaya de retirer son pied. Il fallait que je travaille rapidement, avant qu’elle en ait assez et refuse de rester sans bouger. « Tout doux, encore un petit peu… »

Je tirai un bon coup. Trois choses se produisirent à la fois : les fils lâchèrent, je m’écrasai le coccyx sur le sol et mes lunettes s’envolèrent, retombant un peu plus loin dans un cliquetis. Momo poussa un cri strident, m’envoyant une flèche de culpabilité tout droit dans le cœur.

« Momo ! » De la main, je fouillai autour de moi, paniquée. Où étaient mes lunettes ? Dans le flou qui régnait, je vis une forme rose s’éloigner de moi par le pont. « Momo, reviens ! »


Il me fallut quelques minutes pour retrouver mes lunettes, mais Momo n’avait pas pu aller bien loin. Et pourtant… la seule direction qu’elle avait pu prendre était celle de l’Empire des vents. J’avais entendu dire que pendant l’attaque de l’Arche du Lion, les Tengus avaient abattu sans pitié toute personne qui s’approchait de leur portail. Pourraient-ils faire du mal à un moa sans défense ? Je remis mes lunettes et me précipitai sur le pont.

Le parapet du pont était trop haut pour que Momo ait pu sauter dans l’eau, et je ne la voyais pas se promener près de la muraille. Mais je voyais bien les deux gardes tengus, qui interrompirent leur conversation pour se mettre en position défensive dès qu’ils m’aperçurent.

« Moa, fis-je, essoufflée, en m’arrêtant tant bien que mal. Rose. »

Les Tengus échangèrent un regard. L’un était mince, vêtu d’une tunique bleue. L’autre était habillé de brun et ils me semblèrent un peu plus âgés. « On ne passe pas, déclara le mince. Que voulez-vous ? »

J’inspirai un grand coup et retentai ma chance. « Une moa rose. Je l’ai perdue. Elle est partie par ici, et… » Je levai la tête, la cherchant des yeux dans les buissons fleuris, ou le long de la berge, près du portail. Rien du tout.

Le portail en lui-même attira mon regard, et je ne pus m’empêcher de lever les yeux… encore… et encore. J’en avais le vertige. Mon souffle me semblait plus bruyant, comme si le gigantisme de l’endroit avait aspiré le son présent dans l’air. C’était comme les cubes de Rata Sum : magnifique, mais trop grand. Monstrueusement grand.

« Votre moa ? » demanda le Tengu mince, m’arrachant brusquement à mes divagations.

« Oui, vous l’avez vue ? Elle est à peu près aussi grande que votre arc, rose vif, avec un collier à pointes. Elle s’appelle Momo, et c’est ma… »

Le Tengu plus âgé leva une main pourvue de griffes. « On n’a vu aucun moa de ce genre. »

« Mais elle est forcément passée par ici. » Je ne voyais pas pourquoi ils me mentiraient, mais… « Je l’ai perdue juste là, à l’autre bout du pont. »

« Aucun moa de ce genre, répéta le Tengu, les plumes de la tête dressées. Circulez, je vous prie. »

« Mais… »

Le Tengu mince se tourna vers moi. « J’ai peut-être vu un moa de ce genre. »

« Hayato, » fit l’autre, d’un ton que je reconnus comme un avertissement.

« Il y en avait un ou deux roses dans le troupeau du marchand. »

Mon sang ne fit qu’un tour. « Elle a dû se joindre au troupeau ! Je vous en prie, je ne voudrais pas abuser de votre temps, mais Momo est tout ce que j’ai au monde… si je la perdais, je ne me le pardonnerais jamais. »

Les Tengus se penchèrent l’un vers l’autre et échangèrent quelques mots à voix basse.

« Oh, voyons, entendis-je de la part de celui qui s’appelait Hayato. Bien sûr que c’est son familier. »

L’autre garde s’écarta. « Bon, fais comme tu voudras. Mais je n’ai rien à voir avec ça. »

Hayato s’approcha de moi. « Il ne convient pas qu’un étrange animal pénètre dans le nid. Elle porte un collier à pointes, c’est bien ça ? »

« Oui. » Il y avait une curieuse tension dans l’air, mais j’étais trop inquiète pour avoir peur. « Et des protège-chevilles. »

« Est-ce que vous voyez, sans vos lentilles ? »

« Mes lunettes ? Non, pas bien du tout. »

« Allez au point de passage et retirez-les, je vous prie. Et tournez-vous dos au portail. Et attendez. »

J’acquiesçai, avec une grande inspiration. Je fis demi-tour et traversai le pont.


En arrivant au point de passage, je retirai mes lunettes et attendis. J’avais beaucoup de mal à ne pas me retourner, mais la vie de Momo dépendait peut-être de mon respect absolu des consignes d’Hayato. Je ne sais pas combien de temps s’écoula, mais j’avais commencé à m’appuyer sur une pierre quand j’entendis quelqu’un me héler.

Je tournai la tête. Une forme bleue et une forme rose venaient dans ma direction. J’entendis Momo pépier, et j’eus tout juste la présence d’esprit de remettre mes lunettes avant de me précipiter à sa rencontre.

« Merci, merci. » Je m’enfonçai jusqu’aux oreilles dans les plumes de Momo. Elle me picora les cheveux, pas perturbée pour un sou. « Je suis navrée pour le dérangement. Je ne sais pas comment vous remercier ! »

Hayato s’accroupit à côté de nous et gratta Momo sous le bec. « Vous pouvez me remercier en ne revenant jamais aussi près du portail. »

Même si je ne savais pas lire l’expression d’un Tengu sur son visage, j’entendais à sa voix qu’il était on ne peut plus sérieux. Je compris qu’il avait fait quelque chose d’exceptionnel pour moi, et j’eus l’impression de me tenir à nouveau devant le portail, l’air vidé de tout son.

« Je comprends, fis-je en avalant ma salive. Merci beaucoup. »

« Et promettez-moi, lâcha Hayato en s’éloignant, que vous n’inventerez jamais rien qui permette à un moa de parler. »