Épopées tyriennes : Chapitre 4

de Vikki le 31 octobre 2016

MadKingMaze Phase 2

Lors de la MomoCon de cette année, des membres de l’équipe narrative ont présenté les éléments clés de la conception narrative de Guild Wars 2. Avec l’aide du public, ils ont créé le concept original pour Vikki et son moa, Momo, dont vous pouvez découvrir l’histoire à travers les chapitres un, deux et trois.


Le temps que nous franchissions la frontière krytienne, le crépuscule était déjà tombé. Je pouvais dire adieu à mon idée de laisser Momo en liberté un moment. L’obscurité grandissante eut une autre conséquence : nous avions atteint Shaemoor avant que je me rende compte que quelque chose se glissait furtivement parmi les arbres, derrière nous.

Je m’accroupis au milieu de la route pour donner une pomme à Momo, et profitai de l’occasion pour observer les environs. Comme je ne voyais rien, je reportai mon attention sur Momo : comme de juste, après avoir englouti son goûter, elle sifflait nerveusement en faisant gonfler ses plumes. Ce qui se cachait là-bas avait arrêté de se déplacer en même temps que nous.

J’essayais de me convaincre que c’était simplement l’ambiance de la fête qui nous avait causé une petite frayeur. C’est à l’Arche du Lion que l’esprit du roi Oswald Thorn est censé revenir hanter la Kryte chaque année, mais le reste du royaume s’était mis au diapason. Sur la route, nous avions croisé des épouvantails à tête de citrouille pourrie, vu des gens vêtus de costumes bizarres se promener dans les champs, et on m’avait même donné un prospectus pour un spectacle d’Halloween. « Ne touchez surtout pas aux portes étranges, m’avait prévenue un tavernier. Elles peuvent apparaître n’importe où. »

Mais la campagne krytienne comportait nombre de choses effrayantes, quel que soit le moment de l’année. Comme des Skelks. Ou des bandits. Je poussai Momo à presser le pas.


Stables

Un éclaireur m’indiqua le chemin du ranch de moas. Il était petit, mais les oiseaux avaient l’air de bonne humeur ; lorsque Momo et moi fîmes notre entrée, les employés étaient en train de tous les rassembler dans l’enclos. Mépi, le propriétaire des lieux, s’interrompit pour me rejoindre au portail. Je lui expliquai la raison de notre venue et lui présentai mes excuses pour notre arrivée si tardive.

« Je l’examinerai demain matin, proposa Mépi. Vous avez un endroit où dormir ? »

J’avouai que non.

« Dans ce cas, entrez donc ! Ce n’est pas le summum du luxe, mais vous aurez un toit au-dessus de la tête. On vous donnera une paillasse, et vous pourrez dîner avec Cassie et moi. »

C’était une offre très généreuse. Les éleveurs krytiens doivent souvent se contenter de leur propre production pour vivre, et c’était la première fois qu’il me voyait. Néanmoins, l’idée de passer la nuit chez eux me mettait un peu mal à l’aise. Et s’ils faisaient tout pour m’être agréable par politesse ? Et si je commettais une erreur et mettais la pagaille dans leur maison ? Et s’ils me servaient du moa pour le dîner ?

« C’est très aimable de votre part, mais Momo est souvent nerveuse quand elle découvre un nouvel endroit, expliquai-je en me tenant les mains pour les empêcher de trembler. Est-ce que cela vous poserait un problème que je dorme avec elle dans l’écurie ? »

Mépi réfléchit en se frottant le menton. « Je ne sais pas trop. On a eu toutes sortes d’ennuis avec les bandits, mais c’est vrai qu’ils ne sortent pas trop la nuit. Et à cette période de l’année… Mais j’imagine que tant que vous restez avec les moas, tout ira bien pour vous. »

« Qu’entendez-vous par là ? » demandai-je.

« Ne bougez pas, fit Mépi en partant vers la ferme. Je vais vous chercher une couverture. »


La couverture drapée sur les épaules, je m’installai dans l’écurie avec Momo. Elle mit un point d’honneur à me lisser les cheveux, puis se pelotonna contre moi, m’entourant de sa chaleur. Je m’adossai à elle (elle fait un oreiller très convenable), les pieds surélevés grâce à mon sac.
Quelque chose me sauta sur les genoux, et je me redressai d’un coup. Je vis des yeux d’un vert vif cligner, de petites pattes malaxèrent mon ventre, et un ronronnement se fit entendre. « Oh, soufflai-je. Tu n’es qu’un minet. »

Le petit chat noir me frôla le menton de la truffe et s’installa en travers de mes jambes. Momo ouvrit un œil, juste assez longtemps pour montrer son indifférence, et je me détendis à nouveau. Ce n’était pas mal du tout. L’herbe sentait bon, les moas poussaient des gazouillis satisfaits non loin de nous, et une douce lumière dorée émanait des fenêtres de chez Mépi. J’avais dormi dans des endroits bien moins confortables, à l’université.

Une main sous la tête du chat, je fermai les paupières.


Labyrinth

Dans mon rêve, je tombais dans un ciel plein d’étoiles, au-dessus d’un miasme vert qui tourbillonnait. D’un coup, je me retrouvai à l’air libre. À mes pieds s’étendait un vaste paysage torturé fait de pierre noire, d’arbres tordus et nus et de feux étranges. Un chemin entrecoupé y décrivait des méandres, jusqu’à un cimetière comportant en son centre un mausolée, seul au sommet d’une aiguille rocheuse. J’entendis des rires et des cris. Je me précipitai pour mieux voir : le labyrinthe était plein de gens qui couraient, se battaient et dansaient en parcourant les allées en tous sens. Non, pas seulement des gens : des créatures. Au-dessus de ce chaos, la lune brillait, énorme et ricanante.

Je fermai les yeux de toutes mes forces. Lorsque je les rouvris, je me tenais sur une falaise qui surplombait le labyrinthe. D’autres gens se bousculaient autour de moi, entrant et sortant d’une porte qui s’ouvrait sur le vide étoilé. Ils étaient terrifiants et quelque peu irréels : une dame humaine dans une robe de velours corsetée, un Sylvari avec des cornes et d’immenses ailes de chauve-souris, un autre Asura portant une tête de citrouille ardente en guise de masque. Et ils étaient tous armés. Certains d’entre eux avançaient jusqu’au bord de la falaise, marchaient sur un symbole et disparaissaient dans une bourrasque.

Momo était tout près, absorbée par l’examen d’une grosse gourde. Alors que j’allais la rejoindre, une voix rauque héla : « Eh bien. Qu’est-ce que ce sera ? »

Je fis volte-face. Un Charr se tenait sur une plate-forme de pierre, près du bord de la falaise, et s’appuyait sur un bâton. Il était vêtu d’un suaire en lambeaux, les yeux bandés et couvert de chaînes, les cornes coupées court. Tout du moins, il avait l’apparence d’un Charr : sa queue luisait comme une braise ardente.

« Moi ? » couinai-je.

Le Charr tendit son bâton. Au bout pendait une lanterne, maintenue par une main squelettique, qui émettait une lueur verte. « Vous. Avez-vous la dextérité nécessaire pour escalader le clocher ? À moins que vous préfériez rejoindre la parade de la mort dans le labyrinthe ? »

Je me protégeai les yeux et retrouvai ma voix : « Ni l’un ni l’autre, si possible. »

Il tomba à quatre pattes et tendit son très long cou vers moi pour me renifler. « Tout cela n’éveille pas votre curiosité ? »

Le labyrinthe était trop grand, et les cris et les rires trop oppressants. Tous les gens qui passaient étaient dangereux et puissants. Je me sentais complètement perdue.
« Non, merci, fis-je en me frottant les bras. Tout ce que je voudrais, c’est retourner là d’où je viens. »

Le Charr montra les dents. « Fuyez, alors, dit-il. Filez à l’endroit d’où vous êtes partie. »

Je courus vers la porte, en traînant Momo derrière moi. Si j’avais pu la porter, je l’aurais fait sans hésiter. Cette fois, en trébuchant dans la nuit étoilée, je ne ressentis qu’un grand soulagement.


À mon réveil, j’avais encore le cœur qui battait la chamade. Le chat était parti, et j’avais froid aux jambes. Momo était profondément endormie, tout comme les autres moas ; je n’entendais pas le moindre pépiement. Je restai parfaitement immobile, m’efforçant de me calmer.

Je me concentrais tellement pour me convaincre que mon imagination me jouait des tours que je n’en crus pas mes yeux quand une ombre se détacha du fond de l’écurie et rampa vers moi.

Ça n’arrive pas vraiment, me dis-je en tâchant de conserver une respiration normale. Ça n’arrive pas vraiment.

Quelque chose me souleva le pied et l’écarta. J’entendis un tintement, et un bruissement presque inaudible.

Quelqu’un fouillait dans mon sac.